Monsieur B. – Faute inexcusable – Absence de formation – Conscience du danger - Jugement du Tribunal Judiciaire Pôle Social de PARIS du 17 mai 2022

Rappel des faits 

Monsieur B., employé en contrat à durée indéterminée à temps plein depuis le 17 juin 2019 en qualité de Technicien de production de matériaux, a été victime d’un grave accident du travail le 5 juillet 2019.

L’accident est survenu après que l’un de ses collègues qui venait de changer les battoirs primaires sur une machine de type concasseur, a demandé son aide pour cette opération de maintenance, l’un des battoirs s’étant immobilisé lors de la rotation.

Pour débloquer la machine, Monsieur B. a ouvert le capot en vue de desserrer l’écran puis il l’a refermé, avant de faire tourner manuellement le rotor pour s’assurer qu’aucun battoir ne se bloquait. Pour vérifier le réglage, il refait tourner le rotor.

Alors qu’il effectuait cette manœuvre, son collègue, sans l’en aviser, a entrepris de faire également pivoter le rotor grâce à l’axe extérieur.

La mise en rotation du rotor, à deux endroits simultanés et par deux opérateurs différents, a entrainé une vitesse de rotation inattendue.

La main droite de Monsieur B. a alors été happée et compressée entre le battoir et la paroi du concasseur. 

Il a été transporté à l’hôpital Louis-Mourier où une intervention a été réalisée en urgence le 6 juillet 2019 consistant en une réduction de la fracture ouverte de la main droite

Monsieur B. dont, le handicap a été reconnu par la MDPH entre 50 et 79%, souffre de deux types de douleurs :

  • Pseudoneuropathie, centrée sur la base du pouce et la face post de la main, en rapport avec une probable algodystrophie postopératoire
  • Au niveau de la paume de la main, irradiant dans l’avant bras, en rapport possible avec une compression du médian ¾ au canal carpien

 

Saisine de l’avocat

C'est dans ces conditions que Monsieur B. a saisi le cabinet de Maître CARRE-PAUPART, avocat expert en faute inexcusable.

 

Procédure 

Par lettre recommandée avec accusé réception en date du 9 juin 2020, Maître CARRE-PAUPART a saisi la CPAM de PARIS pour solliciter la tenue d’une audience de conciliation prévue à l'article L 452-1 et suivants du code de la Sécurité Sociale.

Aucun retour n’a été apporté par la CPAM.

Le Pôle Social du Tribunal Judiciaire de PARIS a été saisi aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de l’employeur à l’origine de l’accident du travail dont il a été victime le 5 juillet 2019 et d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices ainsi que la majoration de sa rente.

Il a été soulevé les manquements suivants de la part de l’employeur :

 

Jugement

Par jugement rendu le 17 mai 2022, le Tribunal Judiciaire de PARIS a suivi l’argumentation du cabinet, bien que contestée par l’employeur, et a reconnu la faute inexcusable.

« Sur l'existence d'une faute inexcusable

Aux termes de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, la victime d'un accident du travail ou ses ayants droit peuvent prétendre à une indemnisation complémentaire lorsque l'accident est dû à une faute inexcusable de l'employeur.

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Dès lors, l'inefficacité des mesures de protection révèle la violation de l'obligation.

La conscience du danger résulte le plus souvent de la dangerosité des circonstances de faits tout comme l'insuffisance des mesures mises en œuvre.

Par ailleurs, il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié, il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.

Seule la cause totalement étrangère au travail ou la faute intentionnelle de - la victime - définie comme un acte volontaire et une intention de causer des lésions corporelles - exclusivement à l'origine de l'accident, permettent d'écarter la responsabilité de l'employeur au titre de la faute inexcusable.

Ainsi, l'existence d'une imprudence du salarié est indifférente à la caractérisation d'une faute inexcusable de l'employeur étant relevé que l'existence d'une faute inexcusable de la victime ne peut tendre qu'à l'absence de majoration de la rente ou du capital.

Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs:

1° Des actions de prévention des risques professionnels ; 2° Des actions d’information et de formation ; 3° La mise en place d'une organisation et des moyens adaptés ; L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre il l'amélioration des situations existantes.

Selon l'article L. 4121-2 du code du travail, l'employeur met en œuvre les mesures prévues à l'article L. 412 1-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants:

1° Eviter les risques ; 2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ; 3° Combattre les risques à la source.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et des moyens adaptés

L'employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement et des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes,

En l'absence de présomption applicable en l'espèce, il appartient à la victime de l'accident du travail de démontrer ces deux points et établir que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat, et de rapporter la preuve que son employeur avait conscience ou aurait dû avoir conscience du danger et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour le prévenir.

En l’espèce, il ressort des pièces versées aux débats que :

- Monsieur B. a été intérimaire pendant plusieurs années en qualité d'agent de maintenance avant d'être engagé en qualité de technicien de production de matériaux niveau 4 échelon 1 en contrat de travail à durée indéterminée,

- le Curriculum vitae de la victime évoquant ses formations et fonctions distinctes n'élude pas l'absence de formation particulière pour un salarié engagé depuis trois mois seulement,

- la SAS M. ne justifie d’aucun suivi de formation au profit du requérant, la relation de l’explication orale de la tâche étant insuffisante sans documentation de cette formation,

- la procédure de maintenance était inexistante au vu des erreurs flagrantes de J., plus expérimenté que monsieur B. et qui selon l’employeur aurait dispensé la formation à la victime (…)

- la société ne justifie pas de la fourniture de la notice d’emploi du concasseur aux ouvriers ni de l’affichage des consignes de sécurité près de la machine,

- l'arbre des causes (pièce 21) inclus dans l'enquête interne du 5 juillet 2019 mentionne explicitement le "manque d'une broche, un fonctionnement en mode dégradé et un système pénible à utiliser avec de nombreuses manipulations, l'absence de communication entre les deux salariés" dont celui qui aurait formé la victime qui a sollicité l'aide de ce dernier pour effectuer une tache inhabituelle et déconseillée à savoir la mise en rotation manuelle du rotor par deux personnes différentes et passer la main dans le concasseur alors que les deux rotors sont en action et que l'absence d' une des deux broches a induit la position dangereuse de la main de la victime.

Il s'infère de ces éléments que la société avait conscience ou aurait du avoir conscience du danger au vu du manquement de formation, d' instruction et de défaillance du matériel préexistante à l'accident non prise en compte par l'employeur et n'a pas pris les mesures adaptées pour prévenir ce risque.

Le requérant démontre dès lors que les deux éléments de la faute inexcusable sont rapportés.

La société ne démontre pas l'existence d'une faute intentionnelle du salarié victime, à l'origine de l'accident de nature à exclure la faute inexcusable de l'employeur.

II y a donc lieu de reconnaître la faute inexcusable de la S.A.S M. dans la survenance de l'accident de travail et de dire que cette société demeure tenue des obligations prévues auxdits articles. »

En l’absence de consolidation de l’état de santé de la victime, le Tribunal Judiciaire de PARIS a alloué à Monsieur B. une provision à hauteur de 10.000 euros et la condamnation de l’employeur à des frais irrépétibles à hauteur de 2.000 euros.

Par ailleurs, la majoration de la rente fixée à son maximum a été reconnue dans son principe.

Une expertise médicale sera sollicitée dès fixation de son taux d’incapacité qui sera évalué prochainement par la Caisse Primaire d’assurance maladie lui permettant ainsi d’obtenir une indemnisation au titre des préjudices suivants :


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