La prescription d'un médicament dont les effets néfastes secondaires sont connus peut engager la responsabilité de l'établissement de santé

C'est ce principe que vient de consacrer le Conseil d'Etat.

Le contexte de la prise en charge médicale

Madame C. a accouché le 16 mai 2009, au Centre Hospitalier Universitaire de POINTE A PITRE, d'une petite fille née prématurément. Le nourrisson a été hospitalisé en soins intensifs et placé sous antibiothérapie en raison du caractère inexpliqué de sa prématurité. A cet effet, de la Ranitidine, médicament appartenant à la classe des anti-histaminiques, antisécrétoire gastrique, lui a été prescrite du 17 au 29 mai 2009.

Dans les suites de cette prise médicamenteuse, le bébé a présenté un état de choc sévère, du fait d'une entérocolite ulcéro-nécrosante de grade IV, nécessitant un transfert en réanimation. Consécutivement à cette prise en charge, l'enfant reste atteint de troubles neurologiques graves.

Les fautes médicales reprochées par la victime

Eu égard aux séquelles de la petite fille, handicapée à 80% et qui présente une infirmité motrice cérébrale, ses parents ont recherché la responsabilité de l'Etablissement de santé devant le Tribunal Administratif de la Guadeloupe. L'ONIAM a également été attrait à la cause. Deux manquements ont principalement été reprochés à l'Hôpital :

  • D'une part, que le centre hospitalier a commis une faute en attendant treize jours après la naissance de l'enfant, qui souffrait de troubles digestifs importants, pour l'avoir nourrie au lait artificiel alors même que sa mère avait proposé dès sa naissance de la nourrir au lait maternel qui a un effet protecteur supérieur contre l'entérocolite ;
  • D'autre part, que le centre hospitalier a prescrit un médicament dont les effets néfastes sont notoirement connus à défaut d'être démontrés scientifiquement, en ce qu'ils favorisent l'entérocolite et l'émergence d'un germe pathogène type colibacille et que la mortalité est six fois supérieure pour les nourrissons nés prématurément;

Les parents de l'enfant ont sollicité devant le Tribunal Administratif de POINTE A PITRE une indemnisation corporelle à hauteur de 7.195.490,56 euros et de mettre la réparation des préjudices à hauteur de :

  • 80% à la charge du Centre Hospitalier Universitaire de POINTE A PITRE 

et 

  • 20% à la charge de l'ONIAM

Cette demande indemnitaire se décomposait comme suit :

  • 63 545,30 euros au titre des frais divers et des dépenses de santé actuels ;
  • 333 150,67 euros au titre de l’assistance par tierce personne pour la période du 12 août 2009 au 18 septembre 2013 ;
  • 59 053,75 euros au titre des frais divers et des dépenses de santé futurs ;
  • 9 100 euros au titre des frais futurs de logement adapté ;
  • 52 725,38 euros au titre des frais d’achat et d’adaptation d’un véhicule et 403 750,90 euros au titre des frais futurs d’adaptation du véhicule ;
  • 4 790 760,72 euros au titre de l’assistance par tierce personne future, ou une rente mensuelle de 8 858 euros ;
  • 801 828 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs de la victime ;
  • 26 443,75 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire de l’enfant ;
  • 45 000 euros au titre des souffrances endurées évaluées à 5/7 ;
  • 558 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent de 80 % ;
  • 15 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;
  • 30 000 euros au titre du préjudice moral et d’affection du père ;
  • 30 000 euros au titre du préjudice moral et d’affection de la mère ;
  • 447,50 euros au titre des frais de copie du dossier médical d'accouchement ;
  • 14 400 euros au titre des pertes de revenus de la mère ;
  • 15 000 euros au titre du préjudice moral de la sœur de la victime.

Le Tribunal Administratif de POINTE A PITRE, de même que la cour administrative d'appel de BORDEAUX ont rejeté globalement leur demande indemnitaire hormis la somme de 2.500 euros.

Les juges d'appel ont écarté la responsabilité de l'Hôpital en retenant :

  • que l’entérocolite ulcéro-nécrosante dont a été victime la jeune enfant a présenté un caractère fulgurant et qu’une telle dégradation peut, dans certains cas, n’être précédée d’aucun symptôme ;
  • que le lait artificiel donné au nourrisson était adapté et que des études montrent qu’il accélère la vitesse gastrique et rend plus fréquente l’émission des selles, autant d’éléments bénéfiques pour prévenir la survenue d’une entérocolite ulcéro-nécrosante ;
  • que la nocivité du médicament prescrit était mal connue à l’époque des faits et conclut à l’absence de faute commise par le centre hospitalier en 2009 ;
  • que les infections nosocomiales contractées par l'enfant durant sa prise en charge ont été traitées de manière diligente et adaptée par le personnel, de sorte qu’il n’en n’est résulté aucun dommage pour l’enfant.

Ils en concluent que la requête des parents de l'enfant doit être rejetée. Les demandeurs ont décidé de se pourvoir en cassation.

Le Conseil d'Etat constate une faute d'indication thérapeutique et la responsabilité de l'hôpital

Par cet arrêt du 27 avril 2023 (n°460136), le Conseil d'Etat estime que la cour administrative d'appel a :

  • insuffisamment motivé son arrêt en écartant l'existence d'une faute dans le choix de l'alimentation de l'enfant;
  • commis une erreur de droit en retenant que si l'administration au nouveau-né de ce médicament avait sensiblement majoré le risque pour celui-ci de développer une entérocolite ulcéro-nécrosante, elle n'en avait pour autant tiré conséquence d'un refus injustifié d'une indemnisation.

En effet, si la dangerosité de la Ranitidine pour les bébés prématurés n'était pas établie au moment des faits, il résulte de l'expertise que la seule présence de sang rouge dans les résidus gastriques et les selles dans les deux jours qui ont suivi la naissance, après un accouchement hémorragique, justifiait une analyse de l'hémoglobine.

Ce médicament déconseillé a favorisé l'apparition d'une entérocolite et l'émergence d'un germe pathogène à l'origine d'une surmortalité des nourrissons notoirement connue à l'époque.

Dans ces conditions, l'arrêt est annulé et renvoyé devant la cour administrative d'appel afin qu'il soit statué sur les responsabilités de l'hôpital ainsi que sur une éventuelle prise en charge par la solidarité nationale, au titre d'une perte de chance d'éviter le dommage.


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